Un chanteur

cbrachetCritique, Littérature, Non classéLeave a Comment


« –  Si tu écris, tu es un écrivain, alors écris,  me dit-il.
Et si lui nous considère comme un écrivain, comme un chanteur, nous y croyons. »

Un chanteur vient de paraître, un récit écrit par Kéthévane Davrichewy, une écrivaine dont j’ai déjà parlé ici.

Pour de nombreuses raisons, j’avais très envie de lire ce livre, j’ai maintenant très envie que vous le lisiez à votre tour.

C’est un très beau texte, original et puissant, qui dépasse largement le sujet principal en proposant des pistes de réflexion sur l’amitié et sur la force que peuvent avoir les relations amicales dans une dynamique de création artistique.

Un chanteur, c’est un récit qui raconte le parcours d’un groupe d’amis, artistes bouillonnants d’idées et de talents, parmi lesquels se trouve le chanteur Alex Beaupain. Le récit commence au début de leurs carrières, ce moment où ils avaient parfois « cette impression de rater [leur]vie avant même de l’avoir vécue. »

Je m’attendais à lire un éloge du chanteur, j’avais quelques réserves sur ce regard de l’amie, fan et complice, peur qu’il conduise l’auteure à écrire un texte dithyrambique sur Alex Beaupain tellement il me semble compliqué de prendre du recul dans une telle configuration. Et puis j’ai au contraire découvert un texte très fin, très juste, un portrait sans complaisance, les faiblesses, les fêlures, les défauts du chanteur n’étant pas passés sous silence.

Ce livre est aussi une plongée dans l’intimité et les doutes d’un groupe d’artistes, et c’est une des raisons qui explique que je l’ai trouvé si touchant. Ma perception a peut-être été un peu biaisée par la présence de quelqu’un que j’aime et qui compte énormément, mais pas uniquement. Il me semble que ce livre peut toucher toute personne sensible à la façon dont un artiste se construit, à la manière dont les carrières se déploient. Car l’intérêt central du récit, c’est bien celui-là, voir éclore des personnalités et des talents, les voir grandir, se soutenir, s’encourager, se questionner. S’aimer aussi. Et c’est passionnant.

On assiste à des configurations particulières, à des discussions tardives dans lesquelles on se projette, on imagine ce qui n’est pas dit, on vit l’ascension collective avec eux. De nombreuses questions sous-jacentes traversent le récit : comment des artistes parviennent à s’accomplir, à réussir, à se hisser au plus haut en se soutenant les uns les autres, en se donnant confiance mutuellement ? En quoi la transmission et les souvenirs sont des moteurs de leurs relations? Dans quelle mesure le lien est-il éternel ? La fragilité du lien est d’ailleurs abordée, et on constate que lorsque le fil se brise à un endroit, c’est toute la structure amicale qui s’en trouve affaiblie. C’est aussi très beau de voir de quelle manière la réussite des uns a un effet sur celles des autres. Les mots de Kéthévane Davrichewy traduisent avec une grande justesse la puissance artistique du groupe et l’énergie induite par les encouragements de ceux qu’on aime.

S’ajoute à tout cela la construction du texte, très efficace et esthétique, qui replace au centre du récit les paroles des chansons d’Alex Beaupain : ses textes viennent ponctuer le discours, nourrissent le récit, illustrent le propos. Leur beauté et leur poésie s’imposent même sans musique, et si ces chansons vous sont familières, les mélodies ressurgissent alors au détour de chaque page.

Enfin, la grande prouesse de ce texte vient du fait qu’il transcende le particulier pour raconter l’universel. Il dépasse largement l’histoire de ce groupe d’amis là pour raconter la façon dont on devient artiste, dont on s’autorise à le devenir. C’est aussi une manière de réfléchir à la perception de la vie, en observant la manière dont ces personnes l’abordent, avec difficulté parfois, mais confiance toujours. Car tous ces gens, ils y croient. Ils croient à la possibilité de devenir ce qu’ils ont envie d’être. C’est sans doute ce qui fait leur grande force et c’est très beau à regarder.

« Nous partageons un besoin urgent de créer et de rendre nos vies plus intenses. »

Si l’ambition de départ était très audacieuse, le résultat est pleinement réussi, car encore une fois, même si vous n’écoutez pas ce chanteur, même si vous ne connaissez pas bien les gens dont il est question, vous serez très certainement porté par la narration de cette émulation collective.

Et c’est aussi très émouvant d’accéder à l’autre côté du miroir, à celui qui échappe normalement.

À cette déclaration d’amour d’une artiste à sa bande.

 

 

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