À voix basse

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a voix basseJ’écoute un disque. Des reprises de chansons d’Alain Bashung. L’album s’appelle Tels Alain Bashung et je me dis que c’est vraiment très important la voix. Surtout quand on chante. Mais pas seulement.

Malgré un titre qui sonne mal, un titre que je trouve tout simplement mauvais, ce disque est plutôt plaisant à écouter. Douze artistes interprètent les textes d’Alain, l’un après l’autre, avec leurs humeurs, avec leurs personnalités, avec leurs voix aussi bien sûr.

C’est délicat une reprise, plein d’enjeux : l’interprétation doit rester humble, ni décevoir, ni rivaliser avec la version originale, qui au fond n’est jamais bien loin.

J’écoute donc cette compilation, et j’entends des voix qui se succèdent, différentes, inégales. Certaines me touchent, alors que d’autres non.

Mon attention se focalise sur ces voix qui se suivent, qui n’ont rien en commun sinon l’auteur de ces mots qu’elles prononcent. Cela me fait alors penser à une récente discussion que j’ai eue avec un ami à propos d’un chanteur. J’expliquais que j’aimais beaucoup l’artiste en question, mais j’émettais d’emblée une réserve : j’étais malheureuse que sa voix ne me fasse rien. J’évoquais le dernier album d’Alex Beaupain : le disque s’appelle Pourquoi battait mon cœur ? Le titre est parfait, vraiment esthétique. Rien à dire, juste applaudir. Le disque est très bon aussi, d’écoute en écoute, il gagne en complexité, en épaisseur. Comme les précédents, il est d’une grande qualité, mais ce n’est pas le problème. Mon problème à moi, c’est sa voix.

J’aime Alex Beaupain, mais malheureusement sa voix ne fait rien du tout. A l’inverse de celle de Benjamin Biolay par exemple, qui me touche vraiment. Dans le casque, il me parle, intimité partagée. Les barrières tombent, le chanteur se dévoile. Ou pas.

Ca m’ennuie profondément d’écrire ça, car j’aime beaucoup Alex Beaupain. J’aime ses textes, ses mélodies, j’adore ses spectacles. Incroyablement à l’aise sur scène, il y est toujours très élégant et très drôle en même temps, brillant. Et puis dans une salle de spectacle, la question de la voix glisse au second plan ; l’image vient supplanter le son, l’attention se décale ailleurs, sur ce corps en mouvement que je regarde. Un visage s’anime, une personnalité s’exprime.

Mais la voix est centrale dans d’autres cas. Pour l’importance qu’elle confère aux voix qu’elle place au centre du dispositif, j’aime la radio. Les voix s’impriment et restent en nous, si bien qu’à la lecture de papiers de journalistes que j’ai écoutés à la radio, il m’arrive de les entendre. Quand je lis un édito signé par Nicolas Demorand dans Libération, c’est comme s’il parlait encore à côté de moi. A force de me réveiller pendant si longtemps avec sa voix là-bas au loin, je me rends compte que j’ai intégré son timbre et ses intonations, une voix stockée dans ma mémoire, comme synthétisée. Curieusement, bien que Patrick Cohen ait pris le relais, je me rends compte que je suis incapable de vous parler de sa voix. Insignifiante sans doute. Je sais aussi que le samedi matin, elles ont des voix qui m’agacent, insupportables. Tous les samedis, systématiquement, j’éteins. D’ailleurs, je n’aime pas les voix de femmes. Exceptée celle de Laure Adler qui me plaît beaucoup. Mais Laure Adler toute entière me plaît beaucoup. La question de la voix est toujours plus délicate pour les femmes ; une belle voix de femme c’est rare, souvent trop aiguë, parfois trop grave, rarement juste.

Pour perpétuer cette magie des voix, les journalistes qui s’expriment à la radio devraient  rester cachés, ils ne devraient pas s’exposer, s’afficher. Au lieu d’entretenir le mystère en restant dans l’ombre, de n’exister que par la force de leur voix, ils se montrent. L’auditeur fait alors le lien entre une voix et un visage. C’est dommage. L’image affaiblit les voix, en atténue la portée.

Avec les inconnus, c’est encore autre chose. Tant qu’on échange par écrit, tant qu’on ne s’est pas parlé, le mystère persiste, le dévoilement n’est pas total. L’écrit, même s’il trahit parfois, permet de conserver une certaine distance, tandis que le face-à-face met quasiment à nu. Quant à la discussion téléphonique, elle n’est pas qu’un simple entre-deux, elle est bien plus que cela. Ancrée dans la sphère de l’intime, elle permet d’accéder à un espace caché, laissant une large place à l’imagination. Quand on parle au téléphone à une personne qu’on n’a jamais vue, on l’imagine. Quand on l’a en face de nous, tout est différent.

Presque évident.

 

 

 


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