Vivons heureux, vivons perchés

adminHumeur, Non classéLeave a Comment


grue-pola.jpgDans une rue derrière chez moi, il y a un immeuble en construction. De la pluie, du soleil, une grue, et des fondations sortent de terre. Je ne passe jamais devant, je ne sais pas du tout où ça en est ni à quoi ça ressemble, je m’en fiche d’ailleurs.

Mais assise dans mon canapé, depuis des mois je vois cette grue, jaune majestueuse, et ce petit bonhomme. A des heures régulières, il grimpe à l’intérieur de la structure métallique jaune, une marche puis l’autre, il va travailler. On dirait qu’il monte au ciel.

Installé tout en haut, seul dans sa toute petite cabine qui se détache sur le bleu profond du ciel, il manœuvre la très grande grue, à droite, à gauche, il déplace des plaques de béton. La vue doit être très belle là-haut, dégagée, les bruits doivent être étouffés, peut-être même qu’il a l’impression de voler.

C’est un bien curieux métier, grutier. Il ne faut pas être claustrophobe, l’espace est restreint, il ne faut pas avoir le vertige, la cabine est perchée si loin du sol, il faut avoir les cuisses musclées tellement il y a de marches à monter, à descendre pour boire un café, à remonter, à redescendre pour déjeuner, il faut aimer la solitude, il n’y a personne avec qui discuter, ou la tranquillité.

Car ce qui est bien, c’est qu’au moins, une fois arrivé là-haut, personne ne le fait chier, le grutier. Contrairement à en bas.

En bas, c’est très différent.

Il y a quelques temps, j’ai discuté avec un artiste blessé par les propos déplacés d’un animateur québécois de passage à Paris. On aurait dit que quelque chose de grave s’était produit alors que personne ne le connaît en France ce québécois, c’est sans doute juste un imbécile qui essaie d’attirer l’attention.

De l’extérieur, ça paraît toujours compliqué de comprendre les réactions des artistes, elles paraissent souvent excessives. On est tenté de se demander ce que quelqu’un dont l’immense talent est reconnu peut bien avoir affaire de l’avis d’un idiot sans grâce qui vit à l’autre bout de la terre.

Une fois de plus, cette anecdote questionne les rapports compliqués entre les artistes et la critique.

Une fois de plus, cela souligne le fait qu’il est délicat de tenir des propos négatifs sur un artiste sans prendre le risque de le blesser.

Une fois de plus, j’aurais pu moi aussi m’en étonner, sauf que cette fois, j’ai mieux compris la violence d’une telle situation.

Dans une moindre mesure, il m’est arrivé quelque chose d’un peu similaire la semaine dernière.

Jusqu’ici, quand je faisais lire mes textes à des gens, les retours étaient plutôt positifs. Malgré cela, j’avais la vive impression de pouvoir tout entendre, je croyais que si quelqu’un me disait qu’il n’aimait pas mon travail, cela n’aurait aucun effet sur moi, je croyais naïvement que cela ne me toucherait pas. Et pourtant.

Quand quelqu’un vous explique qu’en substance rien ne va, il n’y a même pas besoin de lire entre les lignes pour être plombée pour de bon.

Recevoir un tel mail est violent, c’est inéluctable, on a beau lutter contre, relativiser, un avis suffit à tout remettre en question, il annule même les précédents.

On finit par en vouloir à ceux d’avant, à ceux qui vous ont dit qu’ils aimaient, que c’était vraiment bien, on se dit qu’ils ont menti, qu’ils ont été lâches, qu’ils ont choisi la position la plus facile à tenir, les compliments, les mots qui rendent heureux.

Puis on se raisonne, on se dit que ce n’est qu’un avis, que cela va nous permettre de progresser, d’avancer, et en fait on jette tout par la fenêtre, on comprend qu’on court après quelque chose qu’on n’attrapera jamais. On se dit qu’on ne sera jamais capable de rien, et que cette course n’est qu’une affreuse et inutile perte de temps. 

Et pile au bon moment, à une soirée, on croise un écrivain, un type un peu connu, qui commence à être reconnu, qui vous colle mais qui gagnerait à se faire plus discret.

Pendant toute une partie de la soirée, un écrivain m’a parlé, sûr de lui, hautain, avançant ses pions progressivement mais les posant toujours au pire des endroits. Il m’a dit, ricanant, que ces gens, ceux qui écrivaient sans être publiés, le faisaient vraiment marrer, car on ne s’improvisait pas écrivain. 

Connard, si j’ai acquiescé, c’est simplement pour voir jusqu’où tu étais capable d’aller, mais si j’avais pu, je t’aurais jeté ma coupe de champagne à la tronche.

S’il savait, le pauvre, combien il m’a navrée. Ses propos étaient d’une prétention inouïe, rien ne semblait pouvoir le faire vaciller. Jusqu’à ce qu’il me parle du Salon du livre de je ne sais plus quel trou auquel il venait de participer. Là c’était trop pour moi, les imaginant lui et sa superbe tassés dans un car d’auteurs, j’ai éclaté de rire.

       – Pourquoi ça te fait rire ?

       – Pour rien. Je ne ris pas vraiment en fait.     

Et j’ai pensé très fort à Diastème et à un de ses derniers billets.

Le type, lui, il a continué à monologuer, allant quand même jusqu’à m’avouer que quand il écrivait, il pensait avant tout à plaire aux éditeurs. J’ai abrégé, cette conception du littéraire n’était pas la mienne, heureuse de m’en débarrasser.

Une semaine un peu difficile donc.

Plus envie d’écrire, plus rien, jamais, d’où cette absence de billet depuis une semaine d’ailleurs.

Ce mail m’a coupé les ailes, et depuis je les regarde, arrachées.

Et puis j’avais autre chose à faire, peut-être de plus essentielle au fond puisque mon vrai travail, un article scientifique à critiquer. En deux pages, j’ai expliqué en quoi c’était pourri. Vengeance? Même pas.  

Tout seul là-haut dans sa grue, il doit être heureux ce monsieur. 


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