J’ai lu Une Apparition de Sophie Fontanel.
« Et enfin, à cinquante-trois ans, j’ai entrepris d’apparaître. »
Je n’oublierai jamais ce texte tant ce qu’y raconte Sophie Fontanel me parle.
S’il est bien question d’une renaissance liée à l’arrêt de teinture ainsi qu’au scintillement d’une chevelure blanche, il est aussi question de l’image qu’on a de soi et de la force avec laquelle les autres, l’entourage, la façonnent depuis la naissance.
Il est aussi question de la façon dont on perçoit, dont on reçoit, parfois avec violence, son double photographique.
Ces questions-là m’ont touchée, car comme Sophie, je ne me suis jamais sentie belle, ni même jolie. Enfant, la jolie c’était l’autre, « si mignonne », moi j’étais celle à qui on avait dit, à 8 ans déjà, « ferme ta bouche qu’on ne voie pas tes dents » par exemple. Avec le recul, je sais que mes dents n’avaient rien de particulier, mais je crois que cette phrase m’a traumatisée. Et puis c’était aussi une époque où on forçait les enfants à poser sur les photos, pas de réflexion sur le droit à l’image, ni prise en considération du ressenti de l’enfant face au fait de lui voler son image et de la montrer sans réserve, sans son assentiment.
J’ai très longtemps fait la gueule sur les photos, sachant toujours que le résultat ne serait pas à la hauteur de mes espérances, que mes sœurs seraient mignonnes, elles qu’on disait photogéniques. Et plus j’étais moche, plus mon père me disait que j’étais bien, je n’ai jamais vraiment compris ce phénomène de cause à effet !
En grandissant rien n’a changé, j’ai toujours détesté qu’on me prenne en photo, alors qu’en vieillissant, j’ai appris à accepter le résultat, à me résigner, c’était comme ça.
Si j’ai tant aimé le livre de Sophie Fontanel, c’est parce que j’ai trouvé qu’elle décrivait très bien la façon dont le rapport à son image bougeait, avec le temps. Les frontières se déplacent, on n’espère plus la beauté parfaite et lisse, on sait que c’est perdu d’avance, on aspire à autre chose, à exister, pour ce qu’on est, comme on est, avec ses aspérités.
Un jour, un homme qui avait passé un certain temps à m’observer, a fini par venir me parler et me confier qu’il trouvait que j’avais “une tête bizarre” : bizarrement, je crois que c’est le plus beau compliment qu’on m’ait fait. J’étais différente, hors du commun, comme sortie du lot.
« Tu vas être une blonde étrange » a dit un jour Arielle à Sophie ; joie et bonheur de l’intéressée. Et si finalement c’était l’étrangeté plus que la beauté qui fascinait ? N’est-ce pas plus intéressant ? Le plaisir de l’étrangeté, le bonheur de sortir de la norme, c’est aussi ça l’Apparition.
Cette histoire de cheveux blancs, c’est une affaire de signe distinctif, quelque chose qui fait qu’on vous voit, un halo de lumière qui se transforme en aura.
Elle parle de renaissance, voire de naissance, c’est assez juste comme vision.
Je n’ai pas encore quarante ans et j’ai déjà énormément de cheveux blancs. Pendant des années, depuis mes vingt ans environ, je les ai masquées, avec tout ce que cela implique en termes d’aliénation comme le montre bien ce roman. Et puis il y a quelques années, j’ai décidé de tout arrêter, je ne supportais plus de m’intoxiquer avec tous ces produits chimiques. Mes cheveux, naturels, ont commencé à réapparaître, et je n’avais plus qu’une envie c’est qu’il y en ait de plus en plus, qu’ils reprennent leur place et que j’apparaisse enfin, telle que j’étais vraiment. Il se trouve qu’un jour, lors d’un colloque, j’ai entendu des collègues parler de moi, quelques rangs derrière, elles disaient qu’elles « admiraient mon courage, qu’elles n’auraient jamais pu assumer cela, qu’elles trouvaient cela fantastique d’oser se permettre ça ». J’ai trouvé cette remarque incroyable, et cette liberté retrouvée et assumée m’a rendue fière.
Aujourd’hui mes cheveux ont beaucoup éclairci, chaque été les rayons du soleil font blondir ma longue chevelure autrefois si brune, si bien qu’au final, je parais plus blonde que blanche. Et là aussi je vis quelque chose d’étonnant, une sorte de dissonnance entre la perception que je garde de moi dans mon imaginaire et ce qu’il en est réellement ; j’ai toujours été brune, et pour moi, je suis brune, c’est un fait. Or depuis un certain temps, les gens parlent de moi comme d’une blonde, ce qui me surprend toujours, puisque pour moi, je ne suis et ne serai jamais blonde. Alors ce terme de « blande », utilisé par Sophie Fontanel, me va comme un gant, peut-être encore mieux qu’à elle, moi qui ne suis ni blonde ni blanche, mais bien blande.
Alors que vous soyez blonde, brune, rousse, blanche, que vous ayez les cheveux teints ou naturels, je ne peux que vous conseiller ce livre qui dépasse largement le débat sur la couleur des cheveux, mais qui touche à ce qu’il y a de plus intime, à l’image qu’on se construit, qu’on nous construit, à la perception qu’on a de nous-même sans cesse en porte-à-faux avec celle que les autres peuvent recevoir.
One Comment on “Une Apparition”
C’est bouleversant votre réaction, votre témoignage. J’ai tweeté votre post.