Ton Père

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J’ai lu Ton Père de Christophe Honoré. Quasiment d’une traite. Il faut que j’écrive un billet tout de suite, dans l’urgence, même si je ne sais pas bien par où commencer.

Ce livre n’est pas important il est essentiel. Je ne suis pas uniquement bouleversée, je suis stupéfaite, émue, attristée aussi, beaucoup. Attristée par l’environnement décrit, celui dans lequel nous vivons, dans lequel mes enfants vous grandir. Atterrée par la haine, révoltée par la bêtise.

Touchée par Christophe Honoré, ami proche de mon ami Diastème, l’ami indispensable comme il l’écrit dans les remerciements. C’est bien de ça qu’il s’agit de l’indispensable. Oui Diastème est indispensable et ce livre l’est aussi, témoignage intime et sincère d’un homme qui vit aujourd’hui à Paris, qui a vécu hier en Bretagne.

Je me rends compte que c’est assez compliqué pour moi d’écrire sur ce livre car bien que je ne le connaisse pas personnellement, Christophe Honoré fait partie des gens que je croise à des spectacles, des concerts, dont on me parle, dont je connais des bribes de vie privée. Ma boite Messenger archive quelques traces de nos échanges puisque je l’ai sollicité plusieurs fois pour des entretiens dans le cadre de mes travaux de recherche. Il n’a jamais accepté mais m’a souvent répondu, gentiment. Il y a un peu plus de dix ans maintenant, j’étais allée lui parler un soir de concert je crois, et je lui avais demandé s’il pouvait répondre à quelques questions liées à mon sujet de thèse. Il avait refusé, ne souhaitait pas s’exprimer sur la question, c’était bien son droit, mais j’avais été touchée par l’élégance de son refus. Il m’avait dit : « Je n’ai pas envie de parler de cela, mais si vous voulez nous pouvons parler de plein d’autres choses. » Je l’avais maladroitement remercié, et étais repartie d’où je venais, gênée et mal à l’aise de l’avoir importuné. Je m’en souviens comme si c’était hier, et quand j’ai lu ce texte, Ton Père, si j’ai trouvé ce portrait très éloigné de la personne publique, j’ai trouvé son geste littéraire d’une grande liberté, très courageux, et d’une grande beauté.

Et puis je me suis dit que cet homme là avait sans doute plein de points communs avec Diastème, parmi lesquels le regard qu’il portait sur les choses. Ils regardent le monde de la même manière, avec bienveillance et sincérité, avec poésie aussi.

J’aime Diastème pour plein de raisons, mais principalement parce qu’il m’inspire, m’émeut, me rassure. C’est sans doute compliqué à saisir mais je suis rassurée qu’il existe, et par un étrange principe de contamination pourrait-on dire, j’aime aussi l’idée même de Christophe Honoré : j’aime ses livres, ses films, ses pièces de théâtre, une chanson qu’il a écrite pour Alex Beaupain est l’une de mes préférées, j’aime sa Bretagne, la mer, les embruns, j’aime son univers.

Si j’enchaine les digressions c’est peut-être parce que Ton père est un livre tellement fort qu’il est difficile d’en parler. Difficile d’évoquer les douloureux passages qui décrivent l’enfance, la jeunesse, souvent grise, triste et désenchantée. Difficile de regarder quelqu’un douter autant, remettre en question tant d’évidences. Car à chaque début d’année, quand je vois apparaitre sur Facebook la traditionnelle photographie de Christophe et de sa fille, je trouve qu’ensemble ils forment une évidence. Et jamais je n’aurais imaginé à quel point l’équilibre était fragile, à quel point une personnalité aussi forte pouvait à amener à remettre en question l’évidence.

Ton Père est un texte dense, qui outre une réflexion sur la paternité, sur l’homosexualité, points de focal du livre, propose un portrait d’homme dans toute sa fragilité. Un homme qui a parfois du mal à écrire

« C’était durant cette période de ma vie où je me répétais que je devais écrire et où je n’écrivais pas. […] Je gâche avec discipline des heures nombreuses, dans un fauteuil, l’ordinateur portable sur les genoux. »

qui ne supporte pas toujours le manque d’élégance du quotidien, qui s’énerve de la brutalité d’une expression telle que « vous serez gentil »

qui parle de son rapport à son père à lui

« Il ne me répond jamais vraiment, il ne m’accueille pas dans sa vie et déjà, à quatre ans, à huit ans, à treize ans je pensais, un jour je vais le tuer. »

qui évoque l’impossibilité de décrire la mer avec justesse

« Je ne sais pas écrire sur la mer. Rien que pour définir sa couleur, je manque de mots. Je me rassure ne me répétant que les Bretons sont les plus mauvais poètes maritimes du monde. Même Corbière est nul en poèmes de mer. J’avais commencé un truc avec l’idée de la mer comme un granit, genre lave immense, zébrée de mica brillant. Suivaient des considérations sur la mémoire des rochers, et mon cœur balançant au rythme des marées. J’ai tout déchiré dans la voiture du type qui m’a ramené vers les terres. »

qui se demande sur « combien de “ce n’est rien” [il] a construit [s]a vie ». »

qui avait prévu une liste de films à visionner avec sa fille

« Pourtant avant sa naissance j’avais établi un programme idéal, un corpus de films complexe et inattaquable qui serait comme un viatique, l’assurance pour elle de pouvoir toujours réinventer sa vie grâce au cinéma. »

Essentiel.

[Bande originale : Baiser tout le temps sur l’album Après moi le déluge d’Alex Beaupain.]

 

 

 


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