Principe de réalité

adminHumeur, Non classéLeave a Comment


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J’ai frôlé la mort, je l’ai vue de très près, d’un côté elle ressemblait à un imposant bus RATP, et de l’autre elle se cachait derrière une Mini bleu nuit.

Je me suis jetée sous un bus sans le voir, puis quand je l’ai vu, je me suis décalée  pour l’éviter et j’ai alors vu la voiture, le bolide, qui fonçait droit sur moi.

J’entends d’ici vos cris, le scooter c’est dangereux : c’est certain sauf qu’il se trouve que là, justement, j’étais à pieds.

En scooter je suis concentrée, alerte, à pieds je m’envole, me perds dans mes pensées, et quand elles sont belles, j’en oublie parfois la réalité.

Hier je ne me suis même pas aperçue que je croisais une rue. Quand j’ai repris contact avec la réalité il était trop tard, déjà prise en étau entre ce bus et cette voiture. Aucun mouvement de panique, rien qu’une seconde de grand calme pendant laquelle je me suis arrêtée net, déjà morte, et le bus m’a effleurée, et la voiture a pilé, et les conducteurs m’ont insultée. Ils avaient raison, j’avais honte, j’avais tellement honte que je ne me suis pas arrêtée, ne leur ai donné aucune explication, ne me suis pas même excusée, me suis remise en mouvement, frénétique, et j’ai repris ma route.

Plus j’avançais, plus je réalisais ce qu’il venait de se passer. C’est mon corps qui le premier s’est manifesté, il s’est mis à trembler, alors que je gardais la tête froide, alors que je réalisais froidement que j’avais failli mourir.

Plus j’avançais, plus les minutes se multipliaient, plus la peur m’envahissait. Soudain j’ai eu très peur, rétrospectivement ; j’ai alors eu du mal à continuer ma route, de plus en plus de mal, tellement de mal que j’ai du m’arrêter. Fébrile, j’ai attendu que mon corps se calme, qu’il arrête de trembler, de surjouer la panique, de jouer la comédie, maladroit.

Un sentiment troublant que celui d’être presque mort.

La mort vous choisit, vous approche, et puis finalement au tout dernier moment, elle se ravise, elle se désintéresse de vous, décide qu’il vous reste encore de belles rencontres à faire, qu’il faut encore vous laisser le temps.

Ce jour là quand je n’ai pas vu la route qui se dressait devant moi, vide et absente, quand j’ai commencé à la traverser, mécanique, légère, la tête dans le ciel, je pensais à quelqu’un qui m’avait touchée, à une belle personne rencontrée la veille.

Dans son regard, j’ai vu : sensibilité, profondeur, sincérité, délicatesse et mélancolie. Touchée par ses propos, par son univers, j’aurais voulu le voir encore, souvent. Sur le coup, je ne me suis pas vraiment rendu compte de ce qui était en train de se jouer ; c’était un beau moment, sympathique, de ces temps suspendus dont on aimerait qu’ils ne s’arrêtent jamais. Les bonnes choses n’ont pas nécessairement de fin, m’a dit quelqu’un un jour ; c’est faux, au bout d’un moment, tout s’arrête.

Le commencement, ou la rencontre, les sociologues disent que c’est un moment pendant lequel nous éprouvons un élan de sympathie pour quelqu’un qui nous inspire un vif intérêt. J’y étais, en plein dedans. Une envie profonde et irrépressible de partager, d’échanger, avec quelqu’un qui intellectuellement et humainement m’intéresse et que j’admire sans doute un peu.

Rencontrer une belle personne cela n’arrive que très rarement, c’est exceptionnel, cela m’est arrivé quelques fois, et je mesure combien c’est précieux. Tellement précieux que chacune de ces rencontres m’ont perturbée, beaucoup, et qu’une forme de tristesse latente a toujours fini par remplacer l’euphorie immédiate. Une espèce de mélancolie m’a envahie, la même que celle que j’avais aperçue dans son regard : une rencontre éphémère c’est aussi l’obligation de faire le deuil de quelqu’un qui vous échappe.

Et quand quelqu’un me touche, quand je le comprends immédiatement, j’ai beaucoup de mal à oublier cet instant, à le laisser derrière moi.


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