Ces dernières semaines, j’ai revu du beau : théâtre, cinéma, concert. Trois moments essentiels. J’ai vu des gens qui me sont chers, sur la scène, à l’écran, des artistes auxquels je suis fidèle malgré le temps qui passe.
Vendredi.
J’ai vu Le Ciel de Nantes de Christophe Honoré, à l’Odéon.
Je n’ai pas vu toutes les créations de Christophe Honoré, mais j’ai lu tous ses livres, j’ai vu tous ses films, je connais sa Bretagne, je connais une partie de son entourage, certains de ses amis.
J’ai beaucoup d’admiration pour son travail, ses mots et son regard sur le monde me touchent toujours.
Il y a eu L’infamille, La Douceur, Le Livre pour enfants, Ton Père évidemment, 17 fois Cécile Cassard, Ma mère, Dans Paris, Les Chansons d’amour bien sûr, Non ma fille tu n’iras pas danser, Plaire, aimer et courir vite, Chambre 212, et tous les autres, et puis Nouveau roman, vu au festival d’Avignon, et Les Idoles, à l’Odéon déjà. Rien que le fait d’énumérer ces titres me fait voyager, me ramène en arrière, me projette dans des histoires, des ambiances, au milieu de personnages, de décors et de musiques.
Le Ciel de Nantes, c’est la famille, le souvenir, la mémoire, l’héritage ; c’est Nantes aussi, la ville de mes grands-parents maternels et paternels, c’est le Grand Clos, un quartier que je connais bien, pour y avoir passé de nombreux Noël et séjourné à de nombreuses reprises. C’est la rue de Tackrouna qui remonte à la surface, le numéro 14, et les souvenirs des moments passés là-bas, les repas de famille, les cousins et cousines. Ça doit faire environ 20 ans que la maison a été vendue, que je n’y suis jamais retounée, une page tournée.
J’ai beaucoup aimé cette pièce, qui tourne les pages à l’envers justement, qui revient sur le passé, celle de la famille de Christophe Honoré, qui ravive les souvenirs, ses souvenirs, et puis ceux des autres, forcément. Dans cette pièce il fait parler les morts, mais aussi les vivants, tente de recomposer le puzzle, même si on sait que c’est impossible. L’histoire familiale n’est pas figée, elle est mouvante, diffère en fonction des points de vue, des souvenirs des uns, de la perception des autres.
C’est tendre, sans jugement, assez doux malgré la dureté d’une histoire familiale complexe, personnelle mais tellement universelle. Les représentations sont terminées, impossible de revoir la performance des acteurs, la beauté de la mise en scène, de vibrer avec les personnages qui se démènent sur la scène, avec conviction et justesse. Mais il vous reste les mots, dans lesquels vous pouvez vous immerger, puisque le texte est disponible aux éditions Les solitaires intempestifs.
– Oui, j’ai fait des castings, des essais filmés dans un décor…Et…J’ai bien vu que j’allais vous trahir… Que j’avais passé trop d’années à vouloir m’échapper de vos histoires, de votre folie, de vos cancers, tout ce que je pensais être à ma charge et qui peut-être était un prestige…
Mardi.
J’ai vu Le Monde d’Hier, le dernier film de mon cher Diastème.
Thriller politique, film de genre empruntant à la tragédie grecque et au théâtre élisabéthain, jouant avec les variations de styles tout au long film, Le Monde d’hier est un film important, une fable qui résonne plus que jamais avec l’actualité.
J’ai adoré la beauté de l’image, l’ambiance crépusculaire, la qualité du jeu des actrices et acteurs, un jeu tout en retenu, dans les interstices, porté par le regard du réalisateur qui a soigné chacun de ses plans.
Le Monde d’hier est un film original qui, dans une démarche très personnelle, esquisse le triste monde politique d’aujourd’hui. C’est fort, sincère, puissant, documenté mais jamais professoral, bien écrit et subtil, délicat comme l’écriture de Diastème, un écrivain dont la sensibilité me bouleverse indéfectiblement. Ajoutons à cela une bande-originale sublime (composée par Valentine Duteil) qui porte et rythme l’intrigue tout en finesse.
C’est en salle, courez-y !
Et puis samedi.
Benjamin Biolay était sur la scène de la Philharmonie de Paris, superbe.
Benjamin, je le suis depuis son premier disque, acheté au Virgin des Champs-Elysées, lieu que je fréquentais assidûment lors de mon arrivée à Paris. Rose Kennedy m’a accompagnée, je l’ai écouté et réécouté tellement de fois, j’ai assisté aux tout premiers concerts, à beaucoup de concerts, et puis j’ai vu Benjamin s’affirmer, grandir, je l’ai croisé plusieurs fois, nous avons pas mal discuté, je l’ai même interviewé dans le cadre de mon travail de thèse, j’étais jeune, impressionnée, mais j’aimais sa retenue, son élégance, sa sensibilité.
Et puis nous avons vieilli, nous avons avancé, nous nous sommes recroisés régulièrement lors de concerts, dans les coulisses, et puis Benjamin est devenu de plus en plus connu, de plus en plus courtisé, de plus en plus difficile à joindre, alors ça s’est arrêté.
Je n’ai jamais cessé de l’écouter, d’aller le voir sur scène quand j’en avais l’opportunité. J’ai adoré le voir faire l’acteur aussi, je trouve qu’il fait ça très bien, qu’il a une présence incroyable et qu’il est à sa place. Aujourd’hui je suis moins assidue, je ne vais plus voir trois fois le même concert, et sa popularité grandissante me donne l’impression que je l’ai un peu perdu. J’aimais les petites salles de banlieues, j’aimais être à quelques mètres de la scène, j’aimais lui dire bravo par textos, j’aimais ses mots en retour. Et puis la distance donc. Mais je ne pouvais pas râter une occasion comme celle-ci : quel plaisir de l’écouter sur la scène de la Philharmonie de Paris en compagnie de l’orchestre national d’Ile-de-France. Sur scène il reste l’artiste si touchant de ses débuts mais les années d’expérience lui ont permis qu’acquérir de l’assurance, même si la fragilité transparait toujours, et heureusement. Un grand moment donc, porté par des arrangements somptueux, une élégance innée, et une voix, cette voix que je reconnaîtrais entre toutes.
Merci encore à ce monde du spectacle, à ces trois personnalités précieuses, pour ces bulles d’émotions fortes mais délicates, pour cette parenthèse de beauté dans ce monde terne et gris.
One Comment on “Peut-être que la beauté nous sauvera. Peut-être pas.”
Merci! J’ai vu également le Ciel de Nantes, en famille, et nous en avons discuté des heures ensuite. C’est très rare de voir restitués des fonctionnements familiaux, systémiques, traversés par l’histoire, avec à la fois tant de précision dans la violence éprouvée, et tant d’affection et d’attachements. Et il y a ce feuilleté troublant des postures et places…Ca m’a fait penser aussi à ce que mettent en public, pour toutes et tous, des “transfuges” comme Didier Eribon ou Annie Ernaux ou Edouard Louis…A en reparler avec plaisir avec toi!