Lire La Vocation, redécouvrir Sophie Fontanel

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Sophie Fontanel. Un vague souvenir d’elle sur Canal+, une idée plus précise de son passage au magazine Elle, sa présence quotidienne grâce à un compte Instagram poético-déjanté qui me réjouit, me nourrit en humour et excentricités.

Des cheveux blancs aussi, c’est important.

Et puis un livre. Un livre magnifique qui me donne envie d’en parler ici.

La Vocation est une histoire formidable, ou plutôt des histoires avec lesquelles je passe du bon temps en ce moment. Il y a bien longtemps qu’un texte ne m’avait pas à ce point habitée, que je n’avais pas continué à être emportée par des personnages même une fois le livre fermé.

Si sur le livre il est écrit roman, je n’en comprends pas très bien les motivations, car pour moi c’est plutôt d’un récit qu’il s’agit, de vies qui passent, se croisent et s’entrelacent.

Sur Instagram, j’avais déjà rencontré Tante Anahide. Je n’avais jamais vu son visage, mais j’avais entendu sa voix. Et puis j’ai aperçu la vue qu’elle avait depuis son appartement ; j’ai donc pu la localiser dans Paris. A partir de ce moment là, j’ai souvent pensé à Tante Anahide, à chaque fois que je passais devant chez elle, ce qui m’arrive assez régulièrement.

Et puis j’ai lu La Vocation, et j’ai fait sa connaissance. J’ai appris d’où elle venait, quelle avait été sa vie, son enfance, je l’ai imaginée sur le boulevard du Montparnasse, petite, vivant la rue comme un spectacle.

Les défilés restent des spectacles, à n’en point douter. Je n’ai jamais eu la chance d’assister à un défilé. J’aimerais tellement observer ce spectacle des vêtements qui dansent, mais aussi celui des gens qui regardent et se regardent regarder et être regardés.

Depuis que j’ai commencé La Vocation, je pense encore plus à tante Anahide, je pense aussi à Méliné et à son précieux, cette page de Vogue arrachée in extremis, et puis à Knar. Pas trop à Jacqueline, non, je préfère penser à Knar.

Sophie Fontanel, en racontant l’histoire de sa famille et de son intégration par l’élégance, réussit à redonner vie aux personnages disparus de la famille Drezian, à les faire resurgir à une autre époque, à mettre en évidence leur modernité.

Il y a les vêtements, certes, mais je crois que dans cette famille, l’amour du beau en général dépasse l’amour des étoffes. J’ai par exemple beaucoup apprécié le passage sur les meubles d’inspiration scandinave réalisés par Irant, je les ai imaginés beaux et les ai admirés.

Et puis il y a cette immersion dans le magazine Elle, ou plutôt la plongée en apnée de Sophie Fontanel dans les hautes sphères de Elle. Quelle aventure.

Quelle résonnance aussi, une transposition possible à partir d’un tout petit détail : je me suis revue quelques années en arrière, pleurant dans ma voiture parce que j’allais devoir passer trois jours dans un bureau du matin au soir. J’étouffais, je paniquais, je croisais des gens eux-aussi dans des voitures, « bien mis » comme on dit, dans de petits costumes sans intérêt qui me déprimaient. Je croisais des gens apprêtés, respectant les codes établis et bien précis de ce qu’on a le droit de porter pour aller travailler dans un bureau.

Je n’en avais toujours fait qu’à ma tête, mes horaires étaient ceux que je m’imposais, et en ce grand jour, au lieu de me réjouir d’avoir décroché ce poste tant espéré, je pleurais, ridicule. Je m’en suis remise, mais cette épreuve m’a marquée, et aujourd’hui, même si j’ai encore un bureau, je m’applique à ne jamais y mettre les pieds. Je suis aussi capable d’aller faire cours à l’université en sweet vert gazon à froufrous avec des baskets couleur reptile au pieds sous le regard mi-médusé mi-atterré de mes collègues. C’est aussi grâce à cette absence de contrainte que je suis encore en vie.

Sophie a aussi les cheveux gris, ou plutôt presque blancs. Il se trouve que depuis plusieurs années, j’ai arrêté de teindre les miens, arrêté de camoufler des cheveux blancs arrivés trop tôt. Un été, après que le soleil et la mer ont décoloré mes cheveux, j’ai trouvé que les blancs se mêlaient harmonieusement aux autres devenus blonds et que le résultat rendait les intrus plutôt discrets. Et puis un jour, dans un colloque, j’ai entendu cette phrase pas loin de moi : « C’est vraiment courageux ce qu’elle fait, j’adorerais assumer mes cheveux blancs comme elle, mais je ne peux vraiment pas ». Quand j’ai compris qu’il était question de moi, je me suis dit que mes cheveux blancs n’étaient pas si discrets que cela, et j’ai finalement aimé ça. J’ai à nouveau regardé des photos d’Isabel Marant, et j’ai trouvé ça vraiment beau les cheveux naturels, élégant, distingué. Oui les cheveux blancs distinguent ceux qui en ont des autres, les font sortir de l’ordinaire, et je dois dire que j’adore cette idée là.

Quelques temps plus tard, Sophie a décidé d’en faire autant, et elle a raconté qu’elle s’était sentie libérée, comme moi. Elle a dit de belles choses sur la question, je me suis retrouvée dans ses propos.

Bref Sophie Fontanel est entrée dans ma vie par des questions capillaires, elle y restera grâce la question fondamentale du vêtement. Et je la remercie de redonner de la valeur et du sens à des objets trop souvent dévalorisés, trivialisés.


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