Comme un avant-goût d’été, je suis sur la plage.
Pour éviter tout malentendu, je précise d’emblée que non seulement je suis sur la plage, mais que j’y suis délicieusement étendue, les pieds dans le sable, en maillot de bain, enduite de crème solaire pour contrer le soleil qui tape. Pour mes amis « parisiens de Paris », je rappelle que l’uniforme qu’ils enfilent mécaniquement quand ils viennent en vacances en Bretagne n’a pas lieu d’être : les bottes Aigle et le ciré Guy Cotten, c’est bon pour les marins pêcheurs en plein hiver, à la limite. Ca c’est dit, prenez en de la graine.
Encore trop blanche, me sentant tour à tour saucisse de porc et rouleau de printemps, j’ai pour ambition de revenir bronzée. Une ambition assez simple, modeste, pas prise de tête (un objectif plus accessible que celui d’augmenter l’audience de ce blog par exemple).
C’est vraiment moche la peau blanche. Par un effet d’optique désespérant, les chairs blanches paraissent amollies, même si depuis que je fais de la boxe, mes fesses ont gagné en fermeté, paraît-il. Bon je vous entends déjà, encore une qui prend ses désirs pour des réalités, et bien non, je ne fabule pas, j’ai des témoins et je n’en suis pas peu fière… (Pas d’avoir des témoins, mais d’avoir la fesse plus ferme, c’est déjà ça.) Bref, je suis donc étalée sur ma serviette, le Libé du jour d’un côté, un roman pas très bon de l’autre, et je savoure l’instant. Il n’y a pas de meilleures conditions pour parcourir un quotidien, pas de meilleur endroit pour déguster un bon roman ; en l’occurrence il est très moyen le mien, mais c’est de ma faute, je n’avais qu’à mieux choisir…
Le soleil chauffe mais ne brûle pas encore, c’est ce qui est bien au mois d’avril. Je contourne avec insolence l’interdiction de cet affreux dicton, en avril ne te découvre pas d’un fil, qu’on m’a si souvent rabâché enfant, et je profite.
C’est bon la plage en avril, tout particulièrement parce que ce sont les prémices de l’été à venir, que rien n’est encore commencé. Les beaux jours de septembre sont toujours plus tristes, mélancoliques, ils sentent la fin, le retour de l’hiver pas loin.
Pour se baigner, c’est un peu plus compliqué : je m’y suis hasardée, doigt de pied après doigt de pied, centimètre de jambe par centimètre de jambe (l’impression qu’on vous serre le mollet dans un étau), puis le ventre, et les bras, et enfin, immersion totale, une brasse furtive mais bien réelle : le souffle coupé, d’un coup. Mer gelée, impression d’avoir diminué de moitié, viande saisie. Puis je suis ressortie, non plus blanche, mais rouge avec des reflets bleutés. C’était fait, peut-être un record de battu, je ne sais plus, j’ai passé l’âge de ce genre de compétition. J’ai aussi passé l’âge d’en ressortir en criant, « elle est trop chaude », une once de triomphe dans la voix. Je me souviens que quand j’étais enfant, je me baignais sans réfléchir des premiers beaux jours du printemps aux derniers jours des vacances de la Toussaint, sous la pluie, et c’était bien, car au moins il y avait des vagues.
Oui quand on est enfant, on trouve toujours que l’eau est chaude, quelle que soit la date, quel que soit l’endroit ; on se jette bruyamment dedans, téméraire. Puis on vieillit, sans s’en rendre compte, et on la trouve de plus en plus froide, alors que sa température, elle, ne change pas.
Même si la plage est clairsemée, les gens sont bien là. L’île déserte est un rêve, il ne faut pas se voiler la face, c’est un grand barnum à ciel ouvert une plage en été. Une fille, très grosse et très blanche, est étalée dans mon champ de vision, et c’est plus fort que moi, elle me dégoûte, indécente. L’autre jour j’entendais je ne sais plus qui s’émouvoir de la beauté des corps en général, ceux des vieux comme ceux des plus jeunes, ceux des gros comme ceux des plus maigres. J’en suis désolée, mais en général en ce qui me concerne, c’est plutôt la mocheté des corps qui me frappe. Un corps vieux, qui pend, je ne trouve pas ça très beau, non, et un corps gros qui déborde non plus.
Sur la plage, il y a les bruits aussi, ce bruit si particulier de la rumeur qu’on entend au loin quand on commence à s’assoupir sur sa serviette, vers 17h. Une superposition de sons qui composent une bande originale indescriptible : il y a le bruit des vagues d’abord, auquel s’ajoute le bruit des enfants qui jouent au loin, (j’insiste bien sur le « au loin », car quand c’est dans vos oreilles, c’est juste un bruit insupportable qui donne envie de s’emparer d’une pelle de plage en métal et de frapper), il y a le bruit des gens qui discutent entre eux, et puis parfois, le bruit du vent dans les mâts des bateaux qui mouillent là-bas. Cette rumeur-là, c’est la rumeur idéale, celle dont on rêve, mais qui trop souvent se trouve entachée par les gens, ces autres qu’on ne choisit pas mais qui sont là.
Hier une toute petite fille, elle devait avoir environ un an, a hurlé un long moment parce que le contact du sable sur ces petits pieds l’effrayait. Au lieu de la laisser tranquillement s’habituer à cette texture nouvelle, au lieu de lui laisser la possibilité de découvrir à son rythme le plaisir procuré par le sable qui glisse entre les orteils, son père la posait au milieu de la plage, ricanait bêtement en la regardant pleurer, sous les yeux amusés du reste de la famille. Il y a aussi eu cette dame d’une vulgarité à couper le souffle qui expliquait à son mari, avec le souci du détail que je vous laisse imaginer, qu’elle continuait à manger de l’éperlan (il était 17h, et c’est avec une élégance sans borne et une délicatesse contenue qu’elle évoquait les remontées gastriques qu’elle subissait depuis qu’elle avait ingéré une fricassée d’éperlans au repas dernier) Dégoûts, crispations, agacement.
Mais malgré le nombre élevé de poètes qui nous entourent, j’aime la plage, beaucoup, parce qu’il y fait chaud et que moi j’ai toujours froid, parce qu’il y a la mer et que j’adore me baigner, et aussi (surtout) parce que c’est un des seuls endroits où je me sens le droit de ne rien faire sans culpabiliser, enfin ! Alors parfois, ces diversions alentours m’amusent, mais quand je suis plongée dans un très beau texte, avec l’envie d’y rester immergée longtemps et que des bruits parasites me divertissent malgré moi, j’avoue, j’ai envie de rentrer.