Le Livre que je ne voulais pas écrire

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J’ai lu Le Livre que je ne voulais pas écrire d’Erwan Larher alors que c’est un livre que je voulais pas lire a priori.

Je ne voulais pas le lire à cause du sujet – l’attentat du Bataclan-, si triste, des angoisses qu’une telle lecture risquait de provoquer, des peurs qu’elle risquait de remuer.

Mais je l’ai lu parce que je lis tous les livres d’Erwan Larher, c’est comme ça, et aussi parce que finalement ça me paraissait important de ne pas fermer les yeux sur tout cela, de ne pas me laisser submerger par la peur.

Puis après l’avoir lu, je ne voulais pas non plus écrire de billet, pas sur ce livre sur lequel j’avais déjà vu passer des dizaines d’avis, tous enthousiastes ; je partageais à peu près le même avis et n’avais rien de plus à apporter. Et puis une fois encore, j’ai changé d’avis.

Comme tout le monde, ce livre m’a touchée, m’a effrayée, m’a remuée, comme prévu.

Pour tenir l’horreur à distance, j’avais décidé de ne le lire que chez moi, de ne pas l’emporter dans le train par exemple, endroit où je passe beaucoup de temps à lire des romans.

Ne pas provoquer le destin. Car oui, quand je prends le train, très souvent, toutes les semaines, je n’ai pas vraiment peur, mais je pense à ça. Appréhension. Petite boule dans le ventre qui m’empêche d’être totalement détendue, de profiter pleinement du moment.

J’ai même l’impression qu’un jour je resterai sur le quai, que je ne pourrai pas monter, que la peur me saisira, incontrôlable, et que je serai pétrifiée.

Le pressentiment qui angoisse, l’impression diffuse qui fait croire qu’il ne faut pas y aller, pas cette fois. Lire les signes, relever des coïncidences, s’attacher aux détails. Les croiser avec les choses les plus insignifiantes du monde. Insignifiantes avant. Maintenant omniprésentes, en creux. Une peur insidieuse, qui se faufile partout. On a beau lui fermer la porte au nez, vouloir l’empêcher d’entrer, elle s’immisce dans nos vies, dans ma vie. Les jours où je prends le train, où je dine en terrasse, où je vais à un concert, au cinéma, quand je dépose mes enfants à l’école, quand j’ouvre mon sac en montrant ma carte professionnelle pour pouvoir entrer à l’université, quand les portes claquent et produisent des semblants de détonations et que nous faisons tous comme si de rien n’était alors que nous nous disons tous que nous serions faits comme des rats si….

Ca c’est ma vie à moi, mon ressenti personnel des événements, vécus par le narrateur/auteur du livre que j’ai lu. J’ai vécu cette soirée de loin, de chez moi, suspendue aux écrans depuis mon canapé, et pourtant je ressens presque les mêmes choses que celles racontées par Erwan Larher qui lui, a vécu ça de l’intérieur, qui s’est retrouvé au plus près du chao, immergé dans l’horreur. C’est sûrement ridicule cette identification, elle est sûrement excessive, mais c’est comme ça, j’y pense. Souvent.

Je suis retournée au Bataclan. Je me suis forcée, j’avoue, j’ai pris sur moi. J’avais peur de sentir la mort, d’être rattrapée par les corps, je me demandais si ce n’était pas déplacé de passer un bon moment dans cet endroit associé à l’enfer.

Je crois que c’était un concert d’Alex Beaupain, et j’ai vraiment hésité car je l’avais déjà vu il n’y avait pas si longtemps, y retourner n’était pas une obligation.

Nous avions acheté nos billets, ma sœur et moi. Une semaine avant nous n’étions pas fières, le Bataclan quand même. Nous n’étions plus très motivées. Peur au ventre. Puis plus rien, le plaisir du concert, après une immense pensée pour les morts, les blessées, les fragilisés, qui doivent vivre avec ça, tout le temps.

Pendant le temps long de la guérison, Erwan nous raconte son calvaire avec douceur, avec pudeur, avec humour aussi, et légèreté. Avec sincérité sûrement, même si je ne vois pas bien comment on peut être léger avec ce poids à porter.  C’est peut-être la joie de vivre du miraculé qui le porte, il y a de ça aussi dans ce livre,  l’espèce d’énergie débordante de celui qui n’a plus rien n’a perdre.

C’est donc important de lire ce texte, un texte intense, généreux, original dans sa construction, dans sa langue, et rempli d’un amour qui sauve tout.


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