J’ai vu La Paix dans le monde, la dernière pièce de théâtre de Diastème. Il y avait La Nuit du thermomètre, il y avait 107 ans, il y aura maintenant La Paix dans le monde, le troisième volet du voyage de Simon et Lucie.
J’avais eu la chance de lire ce texte si fort il y a quelques années maintenant, et il m’avait bouleversée ; ça parlait d’un amour si grand, hors du commun, un amour tellement puissant qu’il relevait forcément de la folie, du moins en partie. Un amour qui durait toute une vie.
Je n’ai jamais oublié Lucie. Diastème a finalement choisi La Paix dans le monde, un très beau titre, comme il sait si bien trouver : oui il trouve toujours les mots juste, ceux qui claquent, ceux qui bousculent, ou qui apaisent. Il est doué pour le silence, celui qui calme les tempêtes, celui qui les déclenche aussi. Le silence, la douleur, la poésie, ses terrains de jeu favoris.
Je dis ça là, un peu en vrac, comme j’aime bien faire, une fois loin, une fois partie, à l’abri.
À la sortie c’est compliqué de dire à quelqu’un tout le bien qu’on pense de son travail, on ne trouve pas, on bredouille, on est ému, mal à l’aise, impressionné, triste parfois, on a peur de déranger, de remplir la bulle avec des banalités, des phrases toutes faites, de produire du vide. De gâcher ce moment si particulier, suspendu, où on est encore dedans tout en étant dehors, ce moment où l’esprit est ailleurs, encore prisonnier de la fiction, où on est proche et loin à la fois.
Hier soir je lui ai dit que sa pièce était magnifique, que Frédéric Andrau était incroyable, je le pensais, mais ce que je ressentais était tellement plus fort que ça. J’ai aussi dit bravo. C’est bravo qui est sorti, bravo putain… J’aurais pu lui dire merci, une fois de plus, pour toute cette beauté qu’il m’offre à moi, spectatrice, j’aurais du lui dire tellement d’autres choses.
Le texte est sublime, la pièce est délicate. Sur scène Simon est seul avec ses démons, son obsession, son fardeau, sa douleur, sa douceur, sa joie aussi, et Dieu sait qu’elle est immense parfois.
Oui chez Simon il y a l’obsession, le manque, l’absence, oui Simon peut être effrayant, oui il peut être violent, mais sa constance est si belle. Son amour se nourrit principalement de souvenirs, il cohabite avec ses fantômes, dompte ses démons, et se projette dans l’avenir avec un optimisme singulier.
Simon observe le monde à travers le prisme d’un amour absolu, et le jeu précis et épuré de Frédéric Andrau exprime avec une justesse folle ce regard sur le monde. C’est au plus profond du ressenti de Simon que l’acteur va puiser pour exprimer la complexité des sentiments et ressentiments. J’ai trouvé sa sincérité très émouvante.
Il y a aussi cette mise en scène graphique et esthétique, au service du jeu/JE, qui accompagne avec une simplicité maîtrisée la complexité de la situation. Il s’agit donner de la place à l’absence, de rendre le manque visible et plus tolérable. Des photographies de Vanessa Filho font exister Lucie, et accompagnées par la musique de Cali, elles remettent le beau au centre du propos.
Et puis la possibilité de douter, d’appliquer sa propre grille de propre lecture, car personne n’est obligé d’y croire. Peut-être que ce n’est pas si simple, si facile, si joyeux que ça en a l’air, peut-être que Simon ne fait qu’imaginer cette fin douce et presque heureuse pour supporter une réalité éternellement douloureuse. Qui sait ?
Qui croit que l’espoir permet de supporter le manque, qui croit aux histoires qu’on se construit pour combler l’absence ? Au petit monde qu’on s’invente pour être plus heureux ? A l’attente qui nourrit ?
Allez-y, vous me direz.
La Paix dans le monde, au théâtre la Manufacture des Abbesses.