Point de départ, un numéro des Inrockuptibles avec sur la couverture une jeune femme nue, un loup sur les épaules. Une photo que j’aime beaucoup, illustration poétique d’un numéro spécial mode.
Une question est posée, « que porter cet automne ? », une réponse, imagée, est donnée, un loup.
Le loup en question n’est pas mort, il semble calme, dompté. La jeune femme s’est battu, son corps porte les traces du combat, des griffures profondes marquent ses cuisses, son ventre. Si le loup, une fois apprivoisé semble avoir gagné, il n’en est pas moins ramené à un accessoire de prêt-à-porter, une étole.
Quelques publicités plus tard, de la plus esthétique à la plus insignifiante, une chronique retient mon attention. Elle est intitulée : « Je me suis fait rhabiller par Paul Smith ».
J’aime Paul Smith, l’élégance anglaise, le souci du détail, de la discrétion, d’une discrétion décalée. Rien de très intéressant dans l’article, si ce n’est ces quelques mots de l’artiste qui m’arrêtent.
« Pour moi, l’élégance de façon générale, c’est un vêtement ou un accessoire de qualité. Des chaussures fabriquées main, à la coupe gracieuse et au style intemporel […] La posture est très importante. Ce n’est pas tellement une affaire de vêtements, c’est aussi la manière dont tu t’assois, dont tu te tiens. »
L’élégance n’entretient pas une relation d’exclusivité avec le vêtement, elle se déploie aussi ailleurs. Légère, elle traverse une silhouette, enveloppe une personnalité, s’échappe d’un caractère. Elle semble immatérielle et reste insaisissable. L’élégance est diffuse, flottante.
« Une femme élégante, c’est surtout une femme qui a de l’esprit. Il n’y a pas d’élégance sans esprit. »
J’aime cette phrase, tellement juste. Ce constat s’applique aussi à l’homme, sans limite. Paul a tout compris.
Je repense à la publicité Mercedes-Benz que je viens de croiser, la double page précédente. Une femme était allongée à plat ventre sur le toit d’une voiture. Pure construction symbolique de la vulgarité, blonde, bouche soulignée de rouge, yeux et ongles bordés de noir, robe provocante, posture aguichante, cette femme est outrancière. Rien ne va.
En haut à gauche, une explication : « Le concept Classe A et le mannequin Jessica Stam sont mis à l’honneur, créant une image de séduction et de modernité ultime ».
Séduction ? Modernité ? La séduction implique la subtilité et la discrétion, la modernité passe par la créativité et cette publicité approche le degré zéro de l’inventivité. Non, rien ne va.
Quelques pages plus loin, Iris et Keno, pleine page, posent pour une publicité de la marque Galliano. Iris, c’est la fille, c’est écrit, elle porte des chaussettes jaune citron, des gants de même couleur, une robe vert d’eau plissée courte et ceinturée sous les seins. Par dessus elle a enfilé un blouson blanc poilu, qui rappelle la couleur de ses escarpins, blancs donc, à lacets noirs. Elle prend la pose, les jambes écartées, déhanchées, scandaleuse. A côté d’elle il y a Keno, c’est écrit aussi. Je ne vous le décrirai pas en détails, je vous dirai juste qu’un lacet de chaussures orange sert de ceinture à un blazer déstructuré.
Quelques pages plus loin encore, page de droite, je croise un couple, d’une tout autre stature, élégant cette fois. La signature : Paul Smith. En face, page de gauche, une brève, « la Cicciolona se retire ». Une photo. Sans commentaire.
Et puis on avance comme ça, de pub en pub, on passe par Lacoste, nouvelle image, nouvelle signature, unconventional chic. Sur la photo une jeune fille se cache le visage derrière un blouson Teddy bleu marine aux manches jaune citron sur lequel est placardé un énorme L rouge ainsi qu’un énorme crocodile vert. Lacoste Live 24/24 Berlin. Je ne comprends rien, juste qu’il faut faire jeune apparemment.
« Lacoste révise et modernise le teddy toujours dans le pur esprit Collège américain. Dans un mélange de laine, il intègre le maxi croco en cornelly et les poches contrastées pour la touche trendy. »
Plus question d’élégance. Paul est déjà bien loin.
Enfin la « Rencontre » et sa phrase en exergue « Il ne faut jamais se fier au look ». Carine Roitfeld, « muse de Tom Ford, âme de Vogue Paris pendant dix ans, figure majeure du monde de la mode » est interviewée à l’occasion de la sortie de son livre Irreverent, « trente ans de carrière et de style ».
J’ai la flemme de lire cet article, je ne lirai pas son bouquin non plus, je m’en fous. Elle ne me séduit ni ne m’intéresse, ses propos, aperçus de loin, me paraissent convenus et évidents.
Cette femme rentre dans le moule, a un physique canonique, porte absolument tout ce qu’il faut comme il faut, a les cheveux parfaitement lisses, ne commet aucune erreur, jamais. Pourtant elle reste commune, tellement commune, finalement dépourvue d’élégance.
Aucune envie de lire ce qu’elle raconte, définitivement.
Rupture entre les annonces et les contenus rédactionnels, entre les publicités elles-mêmes, ça part dans tous les sens, dans un grand mélange des genres.
Possible retour en arrière, une interview de François Bon, « Net et littérature : une histoire d’amour ? », plus intéressant, définitivement.