J’ai lu Bâtonnage, le premier livre de Sylvain Bourmeau.
Ce n’est ni un roman ni un essai. C’est une nouvelle forme littéraire, un genre non identifié, une création originale, audacieuse proposition à la marge des codes et repères.
Poésie ? Sans aucun doute. Le bâtonnage comme acte poétique, comme geste créatif.
« Non narrative non fiction » dit-il.
Le titre, peut-être obscur pour qui n’est pas journaliste, est très vite explicité par l’auteur qui dès l’exergue prend le temps d’informer le lecteur en lui proposant les différents sens du terme. La clé de lecture tient dans la troisième définition : « Édition d’une dépêche d’agence de presse en vue de la publier comme une brève ou un article. Le bâtonnage consiste à raturer les mots ou les morceaux de textes estimés superflus. »
Des mots, disposés en colonnes, se succèdent ; les empilements, fragiles, s’enchaînent et très vite une petite musique ébranle l’édifice. Comme des balises, les titres réintroduisent de la clarté dans le chaos et redonnent une apparence presque familière au contenu. Car la forme poétique se matérialise aussi bien dans la disposition que dans le sens qui émerge de cet éclatement, par bribes. Effets de surprise et tensions palpables font écho à une année d’actualité, mobilisant les traces du passé, les souvenirs des uns et des autres.
« Tenter d’un simple geste de remettre une forme de verticalité dans ce chaos lissé, isoler des mots plus hauts, plus bas dans le brouhaha contemporain, s’arracher, pour y parvenir, à la pesanteur du sens et miser sur la force inentamée de la subversion poétique. »
Ce texte c’est aussi un manifeste contemporain, une prise de position intellectuelle face à l’écriture, à la littérature, au journalisme, c’est un engagement doublé d’une prise de risque. Expériences (littéraire, journalistique, personnelle) destinées à élargir le champ de la création littéraire, la composition ainsi publiée laisse transparaître une dimension critique.
« L’œuvre littéraire ne peut plus à mes yeux se réduire au seul texte – l’attitude, le geste, la posture, les concepts, la performance, le monde de l’art sont désormais toujours déjà de la littérature. »
Et en guise de conclusion, une explication : intitulé Envoi, un très bel exercice de style propose un éclairage sur la démarche de l’auteur et lève enfin le voile sur le mystère des mots.
« Le premier jour de l’automne 2016, j’ai commencé à biffer Libé, tirer un trait en somme. »
Il s’agissait finalement de « prendre la posture du nauteur. » De l’ôteur pourrait-on dire.
BÂTONNER BÂTONNAGE ?
lire
comme on éclaire
d’une lampe torche
d’un bloc
substituant aux principes de clarté
l’exercice de la rature
comme gravure
parfaire au clavier
l’évasion des contours