Ce week-end j’ai lu un scénario de fou. Un truc très fort, poignant, vraiment.
Je ne saurais pas bien vous expliquer à quoi ça tient, mais je suis convaincue de la beauté du film à venir. J’ai beaucoup, beaucoup aimé, j’ai voyagé, j’ai vu des lumières, des couleurs, j’ai repensé à des lieux, à des gens que j’aime, à des ambiances, à des choses tristes aussi. A la mort qui rode, trop proche, toujours. A la fin, je n’étais pas très bien, mais c’est sans doute aussi ce qui me fait dire que c’est réussi.
Régulièrement donc, je lis des textes qu’on me laisse lire. Des textes qu’on me donne spontanément, ou que je demande. Oui, parfois je les demande. La plupart du temps je dois demander, en fait. Sauf pour les trucs chiants, là curieusement, ils arrivent tout seuls.
J’adore l’idée même de lire des textes avant qu’ils ne soient rendus publics, avant qu’ils ne se transforment en ce qu’ils doivent devenir. C’est donc avec grand plaisir que je m’immerge dans leur atmosphère, d’une seule traite. Je m’applique, concentrée.
Comme une idiote, je suis flattée, je jubile alors qu’au fond de moi, pas si naïve, je sais très bien que l’auteur donne son texte à lire à toute personne qui en formule l’envie. Rien d’exceptionnel donc, pas de quoi se réjouir à ce point là. Et pourtant.
Les vrais privilégiés sont sans aucun doute ceux qui n’ont pas besoin de quémander, le premier cercle, le premier choix, ceux qui débriefent peut-être plus brillamment que les autres, ou alors ceux dont l’avis est important. Ca doit être ça. Ceux dont le jugement importe à l’auteur.
Je lis les scenarii, les romans, les pièces de théâtre, ou les articles que mes amis me soumettent. Certains le font spontanément, d’autres pas. Certains attendent mon avis avec impatience, d’autres s’en fichent. Je pense.
Je lis ainsi toutes sortes de brouillons, de textes promis à un grand avenir, ou d’histoires qui vont mourir, qui n’existeront jamais publiquement. D’autres sont déjà mortes mais elles ressusciteront peut-être un jour, qui sait.
Il y a quelques temps, j’ai reçu un article proposé à la publication dans une revue scientifique. Le rédacteur en chef me demandait de trancher, de dire au comité scientifique si l’article méritait d’être publié ou pas. Dans un tel cas, le travail d’évaluation est central puisque je dois à mon tour produire un retour structuré, argumenté, destiné à éclairer l’auteur sur d’éventuels modifications à faire avant publication. Je ne connais pas l’auteur, les textes sont anonymés, c’est un travail que j’évalue, pas une personne en particulier. C’est un cas de figure très marginal, professionnel, beaucoup moins impliquant, au fond, que lorsqu’il s’agit d’expliquer à quelqu’un de cher l’effet que son texte a produit sur vous.
Car si lire un texte est facile, c’est quand vient le moment de débriefer que tout se complique. C’est assez délicat de se prononcer, de dire ce qu’on pense aux gens, jamais anodin, assez engageant. Il s’agit de faire le point à chaud, de se mouiller, de donner un avis, tout de suite et rapidement. Il n’est pas question de réfléchir trop longtemps, ni même de construire son retour, il faut juste de se livrer avec sincérité. C’est indispensable d’être sincère, sinon ça ne sert à rien.
Certes on peut toujours être lâche, c’est facile de cirer les pompes, mais si on fait ça, c’est qu’on est con.
Souvent je m’interroge : donner son avis, pour quoi faire ? Quand on me demande mon avis, je le donne, par politesse. Par plaisir aussi, j’adore donner mon avis, c’est ainsi.
Je le donne mais je ne peux m’empêcher de me demander s’il intéresse vraiment celui qui me le demande, l’auteur en l’occurrence. Qu’est ce que l’auteur peut bien en avoir à cirer de mon avis ? En quoi ce que je pense est-il susceptible de l’intéresser ?
Je pense avoir la réponse. Il s’en fout, ça ne l’intéresse pas, mais ça le rassure.
Il se trouve que j’ai récemment écrit un article sur un auteur vivant. Je lui ai envoyé le texte une fois publié, il ne pouvait plus rien censurer. Et bien quand il m’a répondu que mon texte était « très intéressant, pertinent et sagace », j’étais rassurée, oui. L’impression de ne pas m’être trompée, d’avoir vu juste, de ne pas trop avoir divagué.
Ayant fait études de lettres, je peux vous dire que du commentaire composé, j’en ai bouffé. Faire parler les auteurs, je sais faire, d’autant mieux qu’on ne peut pas aller vérifier. Non, personne ne pénétrera jamais la pensée d’un auteur, et aussi réfléchies soient les remarques qu’un lecteur peut formuler, elles resteront toujours en deçà de la conscience qu’un auteur peut avoir de ce qu’il produit.
Donc s’adresser à l’auteur, qu’il soit là-bas pas très loin ou bien ici en face de vous, ça reste compliqué, pour ne pas dire hasardeux.