107 ans

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Who will remember your fingers?

Their winged life? They flew

With the light in your look.

[…]

I remember your fingers. And your daughter’s

Fingers remember your fingers In everything they do.

Her fingers obey and honour your fingers,

The Lares and Penates of our house.

 

Ted Hughes, Fingers

 

107 ans au théâtre Montmartre Galabru, j’y étais jeudi soir. Une adaptation du texte de Diastème mise en scène et jouée par Grégory Sauvion. (Dernière représentation officielle jeudi prochain, avec peut-être une reprise ou des prolongations, à surveiller, a-t-il dit.)

Je me rappelais très bien du livre, lu il y a pourtant un certain temps. Je me rappelais de Simon, de Lucie, déjà vus sur scène dans La Nuit du thermomètre.

107 ans est un texte qu’on n’oublie pas, qui reste là malgré le temps, c’est un texte qui ne bouge pas, ne s’en va pas, et pourtant je n’ai pas une bonne mémoire, j’oublie tout. Sauf les choses importantes en fait ; et les détails, comme Simon, les choses dont tout le monde se fout, que personne ne voit.

Ce livre est important. Cette pièce est importante aussi, et depuis la scène Grégory Sauvion nous montre combien il a lui aussi été bouleversé par cette histoire. Il se l’est appropriée et restitue à ses spectateurs quelque chose de fort et de bouleversant. La salle est toute petite, la proximité est incontournable, on est assis au plus près de sa douleur.

Simon parle, ne s’arrête jamais de parler, nous livre ses secrets ; dans un monologue introspectif, construit sur le mode de la confidence, rythmé par des bas, beaucoup, mais par des hauts aussi parfois, il refait le film, recompose le passé à l’aide de souvenirs omniprésents, expose sa vision de l’histoire, sa réalité, avec un certain humour, malgré le malheur qui l’étouffe. Qui l’empêche de vivre et d’avancer.

Ce sont les mots de Diastème qui prennent vie devant nous, des mots qu’on a tellement aimés, tellement écoutés. Car ce texte s’écoute, musique d’une passion obsessionnelle ou d’une histoire d’amour qui prend la forme d’une obsession. Comme toutes les vraies histoires d’amour. L’amour est une névrose obsessionnelle a dit Diastème. Il me semble que ce récit en est une belle illustration.

107 ans, éditions de l’Olivier, 2003. L’essentiel du texte est là. Il y a bien quelques coupes, malheureuses mais sans doute nécessaires, comme cette évocation du poème de Ted Hughes et ce vers, sublime,

Qui se souviendra de tes doigts ?

J’adore cette phrase, qui veut tout dire, que j’ai attendue mais qui n’est jamais venue.

107 ans dernier acte : Simon veut nous convaincre, se convaincre que les blessures se sont cicatrisées, mais nous n’y croyons pas. Contrairement à ce qu’on dit, le temps ne guérit rien du tout, le temps ne suffit pas à effacer les séquelles de l’amour absolu. Les stigmates de cette histoire seront toujours visibles, inscrits dans sa chair, au cutter, et dans son cœur surtout.

Le temps de la convalescence amoureuse est infini, la date de fin n’arrivera pas, dans 107 ans, il sera toujours là. A se souvenir, à attendre, à espérer.

Est-ce que là où tu habites, maintenant, tu penses à moi tous les jours, comme je pense à toi tous les jours, tous les soirs, toutes les nuits, à chaque seconde, chaque instant ? Est-ce que l’oubli est nécessaire à la survie ? Est-ce qu’on peut faire son travail de deuil lorsque la personne n’est pas morte ? 

J’aime à croire qu’un jour Simon retrouvera Lucie, qu’elle reviendra.

Envie de mettre une bande-son pour une fois.


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